Revoir ses proches décédés en réalité virtuelle. Black Mirror l’avait rêvé, les développeurs l’ont fait dans une vidéo partagée par Creapills aujourd’hui. On nous montre d’émouvantes retrouvailles entre une mère et l’avatar de feu son enfant reconstitué numériquement.
L’analyse RGPD s’imposait, mais au-delà du cas particulièrement intéressant, je n’ai pu m’empêcher de m’interroger moi-même sur l’envie que j’aurais d’y revoir Hugo, mon ami disparu il y a quelques années. Et déjà là mes sentiments sont contradictoires.
Une analyse philosophique
N’étant pas philosophe, vous comprendrez qu’il s’agira ici de mon simple avis issu de mon expérience.
La question qui est posée ici est à mon sens : le bonheur peut-il être artificiellement restauré ?
Difficile de vouloir retirer à cette mère cette dernière rencontre avec son enfant. On imagine lui faire le plus grand des cadeaux en lui offrant ce que n’importe quel parent souhaiterait le plus au monde dans une telle situation : quelques minutes de plus avec son enfant.
Sauf que ce n’est pas le cas.
On ne lui offre pas deux minutes gratuites du temps passé, on reconstitue un ersatz d’un bonheur envolé. Cela fera illusion quelques instants mais la technique actuelle n’en permettra pas plus. Image pas encore suffisamment réaliste pour qu’on la confonde avec la réalité, et utilisation de seulement deux sens : la vue et l’ouïe.
Sans doute la science du numérique y parviendra-t-elle un jour. Et ce jour-là, on peut se demander s’il sera souhaitable de continuer de vivre avec les morts.
L’IA ne crée pas de surprise, elle reconstitue sur la base du passé ce qui doit arriver le plus probablement dans le scénario qu’elle rencontre. Dès lors, on peut s’interroger sur ce qui nourrira cette IA : l’image renvoyée sur les réseaux sociaux ? L’image dans le souvenir des souvenirs des parents ? Les souvenirs du défunt ?
S’agit-il d’un traitement loyal que d’afficher la perception du défunt aux yeux de ses proches ? Et inversement, d’imposer une perception du monde imaginée par l’esprit des parents à l’avatar ? Le monde n’existe qu’au travers de la perception que nous en avons, et cette perception doit à mon avis rester du domaine de l’intime. C’est une conviction personnelle et à ce stade, je n’ai pas mieux à offrir au débat.
Hugo, l’un de mes meilleurs amis, s’est suicidé il y a quelques années. Cela fut un cataclysme dans ma vie dont j’ai mis des mois, voire des années à me remettre au prix de beaucoup de changements (dont certains ont eu des impacts très positifs sur ma vie ajoutant encore du trouble à la situation).
L’image que j’ai aujourd’hui de lui n’est probablement pas le Hugo qui existait réellement. Il s’agit sans doute d’un condensé de mes souvenirs, très altérés par le choc de son décès, et profondément partiaux. J’ai appris que l’on ne peut pas se fier à ses souvenirs en temps normal. La douleur n’arrange rien. Le Hugo de mon esprit d’aujourd’hui est un mélange des meilleurs moments que nous avons passé ensemble, comme s’ils s’étaient tous suivis alors qu’ils se sont déroulés sur une période longue. L’odeur du lys me rappellera son visage à tout jamais. Simplement parce qu’il y avait des lys à la sortie de l’Eglise.
Je ne souhaiterais pas reconstruire un Hugo sur la base de l’image que j’en ai à ce jour, car cette image n’est qu’un reflet que mon esprit a construit : une image idéaliste et estompée dans le but de rendre sa disparition un peu moins insupportable et en adéquation avec le Moi d’aujourd’hui, le Moi d’après-guerre.
Le pire de tout est que l’on s’habitue à ce nouveau Hugo au point de craindre de se rendre compte que ce souvenir est faux pour ne pas recommencer le processus du deuil. Car là est toute la complexité de l’esprit humain : même si je sais que son souvenir est altéré, il est l’une de mes possessions les plus précieuses. Les quelques entorses à son vrai Lui et les pardons réciproques accordés trop tard conserveront à jamais la poésie des secrets oubliés.
Manipulons tout cela avec beaucoup de précautions, et prenons le temps de la réflexion apaisée. Les choses sont plus complexes qu’elles n’y paraissent. Il est aussi possible qu’on ne puisse trouver une réponse universelle à cette question.
Une analyse RGPD
La question fondamentale ici n’est pas traitée aujourd’hui dans le RGPD. Il s’agit des données personnelles des personnes décédées.
Le considérant 27 nous le dit tout net : « Le présent règlement ne s’applique pas aux données à caractère personnel des personnes décédées. » Ça a au moins le mérite d’être clair.
Il faut aller à la pêche dans le droit national, soit en France, dans la loi pour une République Numérique en 2016.
Si l’on en suit ce texte, le traitement de ces données pourront faire l’objet de directives post-mortem. Le problème sera une nouvelle fois le cas où il n’y a rien.
Des dispositions d’ordre public devront être prises pour clarifier la situation mais peut-être aussi que d’ici que lorsque la technique rendra les morts plus vivants qu’avant dans nos esprits, la société aura évolué.
Tout ceci est à remettre dans un contexte d’époque et de société. Il y a 20 ans, on n’imaginait pas que nous ne verrions plus tous les mêmes pubs. Ni même que nos données vaudraient plus cher que le pétrole. Et sans doute la vision d’un africain, d’un sud-américain ou d’un asiatique diffèrent sur ces points. Différence de mœurs, de croyances et de culture.
Il est important pour la société actuelle de réfléchir à ce qu’elle veut devenir et à s’adapter aux évolutions qu’elle constate. Les philosophes et les sociologues notamment ont un rôle majeur. Mais à une époque où la défiance envers les sachants est croissante, des décisions non réfléchies pourraient être prises. Je n’ai pas de peur sur le fait que nous finiront toujours par aller dans la bonne direction.
Mais tous les chemins ne se valent pas.