Des ressources aux richesses humaines

Des ressources aux richesses humaines

Le diable se cache dans les détails

L’art de la rhétorique fait partie des compétences dont l’enjeu de la maîtrise est trop souvent négligé. Le choix des mots permet la transposition de la pensée en écrit. La complexité du langage peut rendre une idée choquante, ou au contraire acceptable.

Sans s’en rendre compte, les expressions que l’on utilise ont un impact plus ou moins important sur notre compréhension du monde.

Pour représenter ce phénomène, prenons un exemple : Une vache donne du lait pour les enfants alors comment assumer manger un animal aussi mignon ? Mangeons du bœuf !

On ne fait plus un plan social ou un plan de licenciement collectif, mais on met en place un plan de sauvegarde de l’emploi. La question fondamentale étant de savoir si le choix de cette expression est révélateur d’une volonté d’action économique et sociale, ou si elle est l’utilisation cynique d’une technique littéraire destinée à, certes habilement, habiller la vérité d’étoffes plus nobles.

La richesse du vocabulaire permet la finesse de la pensée

Notre cerveau a tendance à préférer ce qui est concret. L’imagination est mise en forme grâce à des constructions grammaticales plus ou moins complexes. Les associations d’idées sont en effet le plus souvent des associations de mots.

Ne pas faire la différence entre écouter et entendre, entre rêver et imaginer, entre promettre et jurer ou entre une opinion et une croyance, c’est se priver de la complexité formidable que nous offre le monde. C’est aussi se priver de l’intelligence d’une réponse adaptée.

Car les mots sont plus que des mots : ils sont le reflet de notre personnalité tant dans notre façon de penser que dans notre envie de faire (ou pas !).

La déviance du vocabulaire en entreprise

Le monde de l’entreprise n’échappe pas à la règle et la gestion des personnes y travaillant en est un exemple frappant. Déjà, on ne dit pas salarié mais collaborateur. Il est en effet tabou d’imaginer un instant que les gens qui se lèvent le matin puissent être amenés à le faire pour l’argent, vils êtres cupides qu’ils seraient.

Dans ce monde sournois où les bisounours sont cannibales, on se cache aussi derrière des termes « doux » afin d’alléger le poids psychologique que pourrait avoir un « entretien disciplinaire » transformé magiquement en un « entretien de recadrage ».

L’apogée de l’artifice se cache dans l’exemple du « Chief Happiness Officer », littéralement le « responsable du bien-être en entreprise », à qui on va confier la responsabilité d’être un gars bien avec ses salariés à défaut de savoir le faire soi-même. La création de ce genre de poste dans une entreprise est à mon sens un aveu de profond de mal-être où le remède peut s’avérer pire que le mal.

D’une évolution lexicale vers une mutation sociétale

On retrouve cette idée dans la notion de « Ressources humaines ». Le terme « Ressources » est considéré ici dans le prolongement de la vision économique moderne. Dans cette théorie, l’entreprise a pour objet unique de créer de la valeur ajoutée pour la redistribuer. Que ce soit un lingot d’acier, une heure de travail ou une machine-outil, l’objet de l’entreprise est d’en retirer plus de valeur à la sortie qu’à l’entrée. On peut donc en déduire que le fait de confier la responsabilité de son bonheur à une entreprise n’est donc pas un combat, c’est une défaite assurée car les intérêts des individus sont contraires à ceux de l’entreprise.

En ne désignant plus les salariés comme des ressources mais des richesses, on change les principes sur lesquels repose l’équation de profit de l’entreprise. Elle ne « consomme » plus la ressource, mais elle profite de la « richesse » innée des hommes et des femmes qui la compose. Cela induit des notions plus actuelles de bien-être au travail, de respect des valeurs humaines, d’épanouissement au travail, bref, d’une relation gagnant-gagnant dans un contexte RSE.

Bien entendu, cela doit se traduire de faits et non pas être basé sur un leurre destiné à faire bonne figure. Tricher sur les valeurs rend la chute plus dure et plus douloureuse.

Conclusion

L’évolution des consciences doit se traduire par une évolution du vocabulaire. Au-delà de l’effet de mode « start-up nation » où les promenades deviennent des « co-walking », le choix de terminologies innovantes instruit une démarche plus qu’une finalité dans le mode d’exercice de l’entreprise. Il ne s’agit pas ici de renier l’aspect économique de l’entreprise, ni de diluer les responsabilités des uns et des autres dans celle-ci, mais au contraire d’assumer les intérêts divergents, mais non-contradictoires, des acteurs qui la compose pour en maximiser les externalités positives.

Auteur principal : Charly VOULOT

Auteur secondaire : Armand MULLER

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